La réunion de famille animée par le Dr F.


301 Moved Permanently

Cela fait maintenant un mois qu’Elsa est hospitalisée.
Et depuis presque trois semaines dans un service de psychiatrie gériatrique.
Le lieu est assez glauque, situé en périphérie de la ville, au milieu d’un parc bien entretenu.
Si j’ai été un peu effrayé à ma première visite, je suis conscient de l’effort fourni par les personnels pour rendre le lieu un peu plus gai.
Je crois que la résilience permet aussi de changer son regard sur les choses…

J’avais demandé depuis le début à m’entretenir avec ses médecins, je n’avais jusque-là pas trop eu le sentiment de faire partie de la boucle, mis à part un entretien téléphonique avec une interne très aimable.
Et puis on m’a proposé un « rendez-vous famille » qui s’est déroulé hier mercredi. « Pour faire un point avec le médecin qui suit votre maman ».
Wokay.
Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, je n’ai pas posé plus de question.
Faire le point sur Elsa, ça me va.

Je suis arrivé à l’heure et la même aide-soignante que la fois précédente m’a ouvert (pour ceux qui ont suivi mes tweets).
Sa tête, son air ahuri, le ton… J’ai commencé par entrer en souriant.
Merci à elle.
Mon imagination n’a fait qu’un tour et je me suis imaginé une réunion d’équipe pour affecter les missions et la conviction du chef de service (psychiatre et posé) qui lui aurait expliqué l’importance de sa mission : « Vous allez accueillir et faire patienter les visiteurs, chère Cynthia, ouvrir la serrure avec votre clé SECURISEE, faire le code SECRET et les accueillir, c’est une mission de confiance que je vous confie A VOUS car je sais pouvoir compter sur votre professionnalisme ».
Sacrée Cynthia !
Bref, je m’éloigne de mon propos.

« Le Dr. F. va vous recevoir, vous voulez voir Elsa ? Elle est dans le salon. » (Ce n’est pas Cynthia mais une autre qui me dit cela. Cynthia en aurait été incapable).

Je vais voir Elsa, qui est assise sur un fauteuil et pleure. Elle marmonne des choses, elle semble ne pas comprendre qui je suis, parle de ses fils.
Elle me dit en substance « Vous êtes durs avec moi de me faire subir ça… ».
Et elle gémit.
Tout ça sans ouvrir les yeux.
Génial.

Et puis le Dr F. m’attend et on me conduit à lui.
Là, je rentre dans une sorte de petite salle de réunion (« la salle de l’ergothérapeute ») et je vois attablées cinq personnes, dont 3 en blouses.
L’un d’eux est un plutôt bel homme, une petite cinquantaine, grand, les cheveux mi-longs, costume en tweed, gilet cravate.
A son regard profond posé sur moi, à la déférence de l’aéropage, j’ai peu de doute sur sa qualité. Le Dr F., psychiatre de son état, est tel que ce que les images d’Épinal véhiculent.
Il lui manquait la pipe, mais Loi Evain oblige… Et puis la e-pipe, c’est pas top question classe.

Le Dr F., deux internes, un étudiant en médecine, une infirmière.
J’ai un peu pratiqué, je sais que la séance sera minutieusement observée par chacun.
Je me suis retrouvé à la place de familles que je reçois dans le cadre de ma pratique professionnelle, et je connais la façon que chacun peut avoir de poser les choses en douceur et rassurer les personnes en présence.

Sur la suggestion du Dr F. et mon accord (même si mon désaccord n’aurait probablement rien changé), on va chercher Elsa pour qu’elle assiste à l’entretien.

Elsa arrive poussée sur son fauteuil, le Dr. F. se lève et va lui serrer la main. Il explique en même temps (à l’attention des deux internes et à l’étudiant en médecine, plus qu’à votre serviteur) l’importance de l’attention accordée au patient.
Tout cela est fait avec lenteur, autant dans les gestes que dans les mots.
Il enseigne, autant qu’il m’informe.
Si je souris aux manières ampoulées du Dr F., je ne peux qu’apprécier son professionnalisme.

Et puis il se passe une chose incroyable :
Cela fait un mois que je ne vois Elsa que comme une espèce légumineuse, et d’un seul coup elle ouvre les yeux et observe l’assemblée.
Moi qui sort d’une série d’horreur sur Netflix, j’ai failli lui demander « Elsa, es-tu Marianne ? ».
Mais je me suis abstenu.
Et, si on n’a pas plus que d’habitude su exactement de quoi elle parlait, Elsa s’est animée devant ce public rallié à son panache. Elle a regardé les gens présents, elle a dit des choses, parlé de sa peinture, nous avons dialogué sur son incapacité à jouer au tennis (elle a été classée 15/2 et capitaine d’équipe à Paris, une de ses grandes fiertés), de ne plus pouvoir tenir ses pinceaux…

Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas partagé autant de mots.

Avec le recul de cet entretien, j’ai réalisé à quel point Elsa avait toujours eu ce besoin d’avoir un public, à quel point elle avait eu de son vivant (oui, je sais, Elsa n’est pas tout à fait morte) ce besoin inconscient d’être au centre des attentions.
Le Dr F. lui a offert un public, et Elsa a pu sortir de sa torpeur.

Cela n’a pas duré très longtemps, elle a décidé rapidement qu’elle s’ennuyait et a demandé à sortir.
Mais le moment a existé et m’a rappelé que j’avais encore une mère.

La suite de l’entretien a été plus simple et sans grand intérêt, à ceci près que cela faisait longtemps (depuis un grand Oral d’une heure pour une admission de mon dernier concours) que je ne m’étais pas senti autant observé. Mes mots, mes gestes, ce que je disais sur Elsa et notre fratrie, sur notre père, tout était soupesé et analysé.
C’était un moment étonnant et pas désagréable, parce qu’il m’a ramené à ma propre expérience professionnelle et à celle de mon analyste durant ma longue thérapie passée.
Le Dr. F. avait besoin de s’assurer que nous étions sur la même longueur d’onde concernant les risques thérapeutiques qu’il prenait depuis deux semaines pour stabiliser Elsa. Et j’ai pu le rassurer : les fils d’Elsa ne mettront aucune entrave aux choix qui pourraient être faits pour apaiser leur mère.
Je lui ai signifié que nous apprécions les risques pris et les efforts faits pour apaiser Elsa.
Et le Dr F. m’est apparu lui-même rassuré.

Aujourd’hui, j’ai eu la confirmation que j’attendais : Elsa pourra retourner dans la maison des Elsa dès la semaine prochaine, et poursuivre sa vie d’Elsa.
En croisant les doigts pour qu’elle n’ait pas trop de crises agressives qui justifieraient un retour en HP.
Et je crois qu’à mes prochaines visites il faudra que je lui trouve un public.

To be continued.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le dernier billet

Elsa est sous contrainte

L’œuvre d'Elsa